Léopold II, Roi des Belges cherche colonie
L’idée de contrôler le plus de territoires possibles a toujours hanté le Roi Léopold II de Belgique, convaincu non sans raison de l’efficacité de la loi du premier occupant. Dès son accession au trône en 1865, Léopold II se donne l’ambition de doter le jeune Royaume de Belgique d’une colonie afin d’aligner son pays sur les grandes puissances coloniales, notamment le Portugal, la Hollande, l’Angleterre et la France dont la présence en Afrique était limitée aux côtes, sans velléités d’explorer le continent profond.
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Du 12 au 14 septembre 1876, Léopold II invite une trentaine de savants européens au palais royal de Bruxelles pour une conférence de géographie consacrée à l’Afrique. La conférence se conclut par la création d’une « Association internationale pour l’exploration et la civilisation de l’Afrique centrale », mieux connue sous l’appellation d’Association Internationale Africaine (AIA), qui sera placée sous la présidence du souverain belge.
C’est alors que Léopold II décide d’engager le journaliste et explorateur britannique Henry Morton Stanley, déjà rendu célèbre par une série de découvertes en Afrique centrale et pour avoir retrouvé à Ujiji (frontière tanzanienne) le Dr Livingstone porté disparu. Le souverain charge Stanley de réaliser des expéditions en son nom avec pour mission de conclure avec les chefs des tribus autochtones des traités préparatoires à la constitution d’un Etat dans le bassin du fleuve Congo.
Plusieurs stations seront établies par Stanley et ses lieutenants à travers le pays, posant ainsi les jalons de l’Etat Indépendant du Congo et de l’occupation belge au Congo.
Colonie sans métropole
C ‘est lors de la Conférence de Berlin en 1884-1885 que le partage du gâteau africain s’arbitre entre les différentes puissantes européennes sous l’initiative du chancelier Bismarck. A cette occasion, l’existence de l’Etat Indépendant du Congo est officiellement reconnue comme propriété personnelle de Léopold II (qui ne se sera jamais rendu sur place !), suite aux découvertes et explorations commanditées par celui-ci. La formule, astucieuse, fut inventée par Léopold II, trop conscient que le Congo ne pouvait devenir dans l’immédiat une colonie belge.
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Les puissances européennes ne n’auraient pas accepté et l’opinion publique belge n’était pas prête à apprécier à sa juste valeur un tel projet. Les 28 et 30 avril 1885, la Chambre et le Sénat belges autorisent le Roi à devenir le chef du nouvel Etat. Léopold II prend donc possession du territoire en son nom propre. C’est seulement 23 ans plus tard que l’EIC acquerra le statut officiel de colonie. Pour l’heure, l’organisation du nouvel Etat est tout de même fondée sur le principe d’une colonie, avec Léopold II comme souverain absolu. Tous les pouvoirs législatifs et exécutifs sont entre les mains du Roi qui administre le territoire, avec un gouvernement central en Belgique. Par un décret d’août 1888, le pays est divisé en onze districts (portés à quinze en 1895) à la tête desquels se trouvent des commissaires de district.
Entre 1885 et 1892, les frontières du nouvel Etat sont consolidées par une série d’accords avec les grandes puissances coloniales riveraines (la France, l’Angleterre, le Portugal et l’Allemagne), par une série de batailles menées contre les mahdistes du Soudan au nord-est du pays et par une campagne d’occupation, en particulier contre les Arabes à l’est du pays. En 1892, le Roi accorde un certain pouvoir aux chefs traditionnels alliés en créant les « Résidences », sorte d’enclaves autonomes au sein des districts et en nommant un gouverneur général. La capitale du jeune Etat est placée d’abord à Vivi, puis à Boma avant d’être fixée définitivement à Léopoldville (1923) sous la colonisation belge.
La maîtrise du territoire s’achève en 1894 pour l’essentiel avec la fin de la guerre contre les Arabo-Swahilis dans la partie est du territoire. L’exploitation intensive du territoire commence alors, où se côtoient tant les missionnaires catholiques que les aventuriers à la recherche de fortune facile. Pour viabiliser au plus vite cet immense état, Léopold II mise rapidement sur quelques produits d’exploitation comme l’ivoire et le caoutchouc.
Le 3 juillet 1890, le gouvernement belge octroie à cet effet un prêt de 25 millions de francs à l’Etat Indépendant du Congo (EIC). Mais ce prêt est assorti de deux conditions. La première condition prévoit une possibilité d’annexion de l’Etat Indépendant du Congo à la Belgique dans un terme de dix ans, soit en 1901. La seconde condition interdisait à l’Etat Indépendant du Congo de faire appel à d’autres fonds sans l’assentiment du gouvernement.
Au Cœur des Ténèbres
Du nom de ce célèbre roman paru en 1902 (titre original : « Heart of Darkness ») du non moins célèbre Joseph Conrad, l’un des écrivains anglais les plus notoires du 20ème siècle. Il relate le voyage d’un jeune officier de la marine marchande britannique qui remonte le cours du fleuve Congo pour le compte d’une compagnie belge avec pour mission de rétablir des liens commerciaux avec le directeur d’un comptoir d’ivoire au cœur de la jungle, un certain Kurtz, dont on est sans nouvelles.
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Le périple se présente comme un lent éloignement de la civilisation et de l’humanité vers les aspects les plus sauvages et les plus primitifs de l’homme, à travers à la fois l’enfoncement dans une nature impénétrable et potentiellement menaçante, et la découverte progressive de la fascinante et très sombre personnalité de Kurtz.
Conrad se serait inspiré du récit « In darkest Africa » de Stanley relatant l’expédition pour retrouver l’aventurier Oscar Schnitzer, dont Conrad avait eu connaissance au Congo. Joseph Conrad a en effet lui-même travaillé pour l’EIC de Léopold II en 1896, et s’est rendu au Congo en tant qu’officier de la marine marchande. Il a donc également puisé dans sa propre expérience et ses propres réflexions (sur les pratiques coloniales à l’œuvre qu’il dénonce notamment) pour écrire « Au cœur des Ténèbres », qui deviendra un succès phénoménal et une référence incontournable.
Le récit a fait l’objet de nombreux projets d’adaptation filmique. Orson Welles avait projeté un temps de l’adapter et d’interpréter lui-même le rôle de Kurtz… Mais c’est surtout le film « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola qui en est la transposition la plus emblématique dans le contexte de la guerre du Vietnam. « Aguirre, la colère de Dieu » de Werner Herzog (1972) présente également une trame proche, transposée dans ce cas-ci dans l’Amérique latine des conquistadors. Une œuvre culte en tous les cas qui n’a pas fini de fasciner et un témoignage emblématique sur l’époque de l’Etat Indépendant du Congo.